dimanche 16 février 2014

Trois textes pour une rencontre

1. Lui.

La place Rouge était vide. Au café Pouchkine, un homme en noir était assis à côté de la fenêtre. Il regardait l'étendue si contrastée du rouge et du blanc de la neige. Il était vingt-trois heure. Soudain, un point minuscule apparaît à l'autre bout de l'immense place.

" Je la vois enfin, avançant à petits pas sur la neige et la glace de la place. Je suis seul dans ce café, la regardant venir, l'attendant devant mon verre de vodka. Je ne distingue pour l'instant que le rouge sombre de son manteau et de ses bottines. Son petit chapeau de fourrure blanc cassé se détache du ciel étoilé de l'hiver. Elle est au milieu de la place et s'arrête un instant. Elle regarde, lentement le paysage urbain qui l'entoure. Je devine un sourire lorsqu'elle s'arrête face au café Pouchkine et qu'elle se remet en marche. Prudemment, elle traverse une plaque de glace. Elle tient un livre à la main. Ses longs cheveux blonds ondulent sur ses épaules. Pas de doute, elle est bien Russe." La clochette retentit. Il se lève et l'accueille à sa table, lui fait la bise ; "Zofia…". Elle pose son livre sur la table, un Tchekhov. D'un signe de tête elle acquiesce au barman qui lui propose une tasse de chocolat, "comme d'habitude" dit-elle. Les yeux dans les yeux, les deux jeunes gens murmurent pour ne pas troubler le silence si confortable. Dans la dure nuit de Moscou, un jeune couple s'embrase.
Au petit matin, la place Rouge était vide.


2. D'Elle à lui

La place Rouge était vide. Dans une rue une jeune femme presse le pas. Elle est impatiente mais avance prudemment sur la neige. Vers vingt-trois heure elle arrive sur la place.

" Voilà enfin la place. Il ne me reste qu'à traverser cette mer de glace. Je ne distingue pas encore la lumière de chez Pouchkine des autres lumières. J'avance doucement, serrant Les Trois sœurs de Tchekhov contre moi. Je suis au milieu de la place. Je m'arrête ; je sais qu'il est là, qu'il m'attend, je le laisse m'observer. Je tourne sur moi-même, m'imprégnant de ce paysage rouge et blanc si familier. Je m'arrête à nouveau, face au café et le savoir là me fait sourire ; sa silhouette noire se détache dans la lumière. Je me remets en marche, prudemment mais impatiente.
Lentement je traverse la dernière plaque de glace… c'est un bon prétexte pour le dévisager, ma mémoire à l'aide de mes yeux. Son regard noir si profond, ses longs cheveux noirs ; ses éternels vêtements sombres, ses mâchoires musclées et son air mystérieux."
La clochette retentit. Il s'est levé ; elle le regarde et son mètre quatre-vingt dix lui fait penser à ses talons hauts. Une bise ; "Alan…". Elle a posé son livre ; il le prend, le feuillète et le repose.

Les yeux dans les yeux, les deux jeunes gens murmurent pour ne pas troubler le silence si confortable. Dans la cruelle nuit de Moscou, un jeune couple sort de chez Pouchkine. Au petit matin,

la place Rouge était vide.


3. Eux, éternellement.

La place Rouge était vide. Un homme au café Pouchkine, une femme dans une rue. Il l'attend, elle arrive. Soudain il l'aperçoit, elle est au bout de la place..
"La voilà…"
"Enfin !"
"Toujours la même, habillée de rouge et de fourrure, la plus brillante des étoiles du ciel d'hiver. Au milieu de la place, je crois qu'elle me sourit."
"Une mer de glace à traverser. Je le distingue à peine mais je sais qu'il est le même: vêtu de sombre, yeux et cheveux noirs ; il m'attend."
"Elle est comme son pays, belle et froide, ses cheveux blonds ondulants sur ses épaules…une dernière plaque de glace…"
"Je me sens chez moi dans ce décor rouge et blanc ; comment cet homme si sombre, cet homme moitié anglais, moitié français, peut-il se sentir bien dans mon pays? Me demandera-t-il de le suivre? …"

La clochette retentit. Il se lève lorsqu'elle entre ; ils se font la bise ; "Zofia…" "Alan…". Elle prend une habituelle tasse de chocolat chaud pendant qu'il feuillète Les Trois sœurs, le livre de Tchekhov qu'elle a apporté. Ils s'assoient, face à face et se murmurent de tendres choses pour ne pas troubler le silence ouaté de l'hiver.
Dans la nuit noire de Moscou, un jeune couple se promène.
A l'aube,

la place Rouge est vide.



(Février 2005)

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